La vie des autres de Florian Henckel Von Donnersmarck

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Que s'est-il passé le 9 novembre 1989 ?
Qu'avez vous ressenti ?
Qu'y avait il avant ?
Qu'ont pu ressentir les enfants de Göttingen

Début des années 80, un univers gris, aseptisé, comptable des moindres faits et gestes d'autrui : la stasi veille à contrôler, en torturant, fichant , à la stabilité de l'Allemagne de l'Est.
Parmi cette humanité grise et rigide, Wiesler alias hgw 007 habite et vit dans un monde ikéa-communiste, rien qui ne le touche, ni ne l'émeuve; son but unique: observer, traquer l'ennemi; la cible de la stasi : l'intellectuel.
Georg Dreyman, auteur de théâtre et sa compagne, comédienne Christa-Maria Sieland sont des artistes reconnus par la bureaucratie; le ministre de la culture cherche à se rapprocher de l'actrice, il soupçonne dreyman d'oeuvrer pour l'ouest; pour parvenir à ses fins, il ordonne à wiesler de placer sous écoute le couple ; jusqu'alors wiesler écoutait, notait, là il se laisse gagner par le duo: il entend autrement; dreyman s'interroge sur la légitimité de son statut, suite au suicide d'un ami metteur auquel on avait interdit de créer
de son côté christa-maria sieland devient un double enjeu: être artiste sous un régime totalitaire, être fidèle
à dreyman malgré les pressions du ministre de la culture
L'Allemagne de l'Est se révèle à chacun différemment mais avec en point de mire le même questionnement : est-ce que rien ne bouge, vraiment?

De l'Allemagne de l'est, comme dans tous les pays communistes, il y a une tension sourde et mélancolique;
florian henckel von donnersmarck a choisi d'évoquer cette part de la mémoire allemande : vivre en étant observé, quelle part de liberté individuelle peut-on avoir pour vivre au jour le jour: mensonges, chantages, pressions, éradiquer la singularité d'un être, l'asujettir à une typologie réifiée, chiffrée de l'intime ou public.
Chaque personnage en devient le jouet, à la fois acteur et agi par ce sentiment trouble et étouffant.
Le réalisateur interroge, non seulement l'histoire de la rda mais aussi chacun sur la place qu'il occuperait dans une telle situation; si les actes sont comptabilisés ( "le gouvernement sait combien de livres j'ai lus: 3,2, le nombre de cravates que je possède : 1,3").Comme le souligne Dreyman dans l'article qu'il fait parvenir au magazine "der spiegel", les suicides ne le sont pas; les pensées non plus; est-ce que la contrainte légitime la création, qu'écrire quand il semble n'avoir rien contre quoi se rebeller?
il questionne aussi la peur de l'être et de son besoin de complétude; Dreyman confie ses peurs antérieures: peur d'être seul et de ne pouvoir écrire, devenues une seule et même peur : perdre Christa, Wiesler se laisse envoûter par Brecht et "la sonate pour un homme bon". Il entre peu à peu dans cette humanité secrète, évoquée par Kundera dans L'insoutenable légèreté de l'être: ces affinités qui lient les êtres autour d'un livre, une musique.
Le personnage de Christa est proche des figures mythiques du théâtre antique; Antigone, Phèdre; la notion de sacrifice est singulièrement posée: christa n'est elle-même que sur scène, mais se sait elle et les autres le jouet de ce régime, en devenir l'informatrice pour ne pas être privée de son élément choix qui implique le sacrifice de dreyman; si wiesler figure l'homme qui rend réversible le mensonge , l'acte subversif pour aller à contre-courant des oeillières du régime communiste; il assiste impuissant et muet à l'oeuvre au corps et à l'esprit de l'être.
la mise en scène joue sur la duplicité de la réalité de l'ex rda: dreyman et christa en mouvement, des traces de passés, d'émotions, de pensées. Chez hgw 007 , rien, une prostituée qu'il retient pour plus de présence, la noirceur glauque du désir animal et libidineux du ministre s'oppose aux lumières chaudes des étreintes de christa; l'éclairage au tungstène, le gris sans camaieu des hommes en gris et l'alcôve, les parcs où se fomente l'esprit indompté.

Le film de Von Donnersmarck conjugue la mémoire d'un pays,le fonctionnement d'un système, la tragédie de l'être contre un système et soi-même; proche du polar et du documentaire fictif.
Le cinéaste se tient juste au seuil des questions qui se forgent en nous: de quoi serions-nous capables pour sa peau et celle de l'autre pour raison, humanité gardée?

Publié dans Ecrans

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