Le livre de l'intranquillité

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Le livre de l'intranquillité, du moins son ruisseau....

"Je ne peux me résoudre à penser que nos vies ne soient que des promenades dans des galeries marchandes" Francine Demichel, avocate, Le 26 Octobre 2009,

 






Rien de Janne Teller, Panama Editions


 

Vous ne trouverez pas ce livre en tête de gondole. Après l'avoir lu,  il est possible que vous ayez envie de le mettre à sa place qui lui revient, à portée de regard et de réflexion. Vous devrez chercher dans ces zones de cloisonnement, presque de non-droits dès lors qu'on devient "adulte" ou que l'on obéit aux lois de la gravité des classements en genre, sous-genre, âges...Allez donc à l'oblique le livre de l'intranquillité des adolescences clémentines.

Lors de votre quête demandez-vous : Qui étiez-vous à quinze ans, qui êtes-vous aujourd'hui? Quel lien perdu ou inaliénable y-a-t-il entre vous et cet autre? Qu'est-ce qui a du sens? Pour quelle raison un objet, un événement, un être acquiert à nos yeux une signification? A quel moment le perd-t-il?


A l'origine, il y a ce mot : Rien. Puis il y a celui quia prononcé ces quatre lettres. Pierre Anthon, élève de quatrième qui quitte l'école "le jour où il a découvert que rien ne valait la peine d'être fait, puisque de toute façon, rien n'avait de sens. Nous on est restés." Lui est monté dans un prunier situé sur les chemins des autres collégiens. Du haut de sa tour d'écorce et de sève, il les prend pour cible à coups de lancers de prune et de phrases lapidaires:

- "La vie n'est qu'un jeu qui consiste à exceller dans l'art de faire semblant et d'y être précisément le meilleur."

"Si vous vivez jusqu'à quatre-vingts ans, vous en aurez passé trente à dormir, vous serez allés à l'école et aurez fait vos devoirs pendant neuf bonnes années, et travaillé presque quatorze. Comme vous avez déjà passé six ans à être de petits enfants et à jouer, et qu'il vous en faudra au moins douze plus tard pour faire le ménage, manger et garder vos enfants, il vous reste tout au plus neuf ans à vivre."

- "Même si vous apprenez quelque chose et que vous pensez avoir quelque chose, il y a toujours quelqu'un qui le sait mieux que vous."

Nous ce sont des adolescents, amis ou non de Pierre Anthon, pour lequel ils éprouvent admiration et effroi. Pour eux, il devient par son acte, sa posture d'intouchable "celui qui sait". Cependant loin d'être interdit ou aveuglé par la fascination, ils décident de le faire descendre: attendre l'hiver? répliquer aux prunes par les pierres? faire un appel à un adulte?" (...) on ne peut pas, parce que pour les adultes, il n'est pas question de reconnaître que rien ne vaut rien et qu'ils font tous semblant."

Que faire? Prouver à Pierre Anthon que quelque chose a du sens. Où? Dans une scierie à l'écart du village, du collège, des quartiers, loin des adultes. Comment? En créant un mont de signification. Les adolescents demandent donc aux habitants  "si on ne leur donnerait pas quelque chose qui aurait du sens". Des objets de porcelaine, des photos de parents morts depuis longtemps, des vêtements, une rose d'un bouquet de mariée. Seulement ce qui a du sens pour autrui, n'en a pas pour les amis de Pierre Anthon comment le convaincre que ce début de mont représentait quelque chose? Chacun va devoir apporte sa part de sens. Au début, les "dons" ont la mélodie de la comptine "marabout, bout, bout de ficelle..."avec la part de défi cruelle des jeux d'enfance: une collection de Donjons et Dragons, des sandales....Plus le mont s'érige, plus les notes-"dons" atteignent des points de gravité jusqu'au point de non-retour.


 

                L'écriture de Janne Teller est simple et lucide avec ces zestes intrigants . L'univers des adolescents et de leur grange où s'érige le mont de signification peut rappeler les atmosphères de Gus Van Sant notamment dans Elefant ou d'Harmonie Korine. Une attention-distanciation qui observe les rouages de l'inéluctable se mettre en marche. Plus simplement, il suffit d'observer les secrets qui lient, construisent  chacun d'entre nous. Si l'épisode médiatique du mont de signification peut donner le sentiment de plomber l'équilibre de l'intrigue, il convient de ne pas se laisser gagner par cette impression. Bien qu'en notre ère, le sens donné à l'événement , par les médias, conférant au rien une plus-value est démontré chaque jour ou presque.

                 L'écrivaine danoise analyse autant le trouble du devenir de l'enfant à l'adolescent que l'invention d'une société ou plus précisément comment on y trouve sa place: par choix ou par défaut. Elle vient questionner cet animal politique qui constitue chacun d'entre nous et quelle part de fraternité demeure en nous ou se perd. Comment devient-on? Comment ne pas perdre ce que l'on est dans les rôles qu'on nous endosse? Quelle part de liberté nous reste-t-il entre ce qu'on nous lègue de gré ou de force, ce qu'on nous transmet et inversement? Dans le sens du collectif que la bande est amenée à inventer, les codes s'érigent en lois, font l'objet de débats dessinant les figures imposées des futurs adultes. Leur secret les fait "flirter" avec des tabous qui fondent les points cardinaux de nos sociétés : religion, éducation, politique, sexe...Leur initiation au monde et à l'autre nous amène à nous interroger : que signifie l'innocence? la foi ou l'objet qu'il incarne? la portée d'un geste? un être sa présence ou son absence?Fou du roi, double du baron perché,  Socrate boutonneux, qui est Pierre Anthon? Un adolescent.  Personnage principal, il trimballe sa parole à la Beckett "Je ne sais qu'il n'y a rien, je continue quand même." avec une insolence joue comme un archet sur nos veines.. Une tête à claques? Un peu de tout ça à la fois, mais une ligne de flottaison ne s'estompe pas, ces petites phrases qui vous frôlent, ces points de côté, ces envies de dire "pouce, je ne veux plus jouer."  Ce livre vient cogner avec ce qui nous étreint ou contraint, un point de côté pertinent : Qu'est-ce qui compte pour nous?


Extraits

 

-"Rien n'a de sens a-t-il dit. Je le sais depuis longtemps. Il n'y a donc rien à faire. Je viens de le découvrir".

Très tranquillement, il s'est penché et a rangé dans son sac les affaires qu'il venait de sortir. Il a salué tout le monde d'un geste de tête indifférent et quitté la salle de classe sans fermer la porte derrière lui.

La porte souriait.  C'était la première fois que je la voyais le faire. Pierre Anthon l'avait laissée entrebaîllée, comme un néant riant qui m'avalerait si je m'aventurais à le suivre. J'ai regardé autour de moi, et le silence embarrassé m'a dit que les autres aussi l'avaient compris: en ce nous concernait, on allait devenir quelque chose, quelqu'un.

-Quelqu'un d'important, et ce n,'était pas dit tout haut. Ni même tout bas. (...)"


-" "La signification". Elle hochait la tête comme si elle se parlait à elle-même. "Vous ne l'avez pas apprise. Alors on l'a trouvée."


-" Le doute nous a pris un par un. Un . Deux. Presque tous.

C'était une trahison, mais on ne se l'est pas avoué. cela se voyait uniquement à la façon dont les sourires avaient disparu pour faire place à des masques semblables à ceux que portaient les adultes, et qui ne disaient que trop bien qu'il n'y avait peut-être pas grand-chose qui valait quoi que ce soit."


-" On pleurait parce qu'on avait perdu quelque chose et reçu quelque chose d'autre. Et ça faisait mal de perdre et de recevoir. Et parce qu'on savait ce qu'on avait perdu, sans pouvoir encore mettre un nom sur ce qu'on avait reçu."

 

Aux petits d'hommes et femmes qui demandent "à quoi ça sert d'apprendre ça", "à quoi ça sert", "ça compte combien dans la moyenne? " aux questions qui nous reviennent "Qu'est-ce qui compte?, Qu'est-ce qui coûte? ..aux silences parfois signifiants..


 

Bande-son:

- Frère animal Arnaud Cathrine, Florent Marchet, Valérie Leulliot

- Tous Pareils / Je m'en tire pas mal Florent Marchet

- Mort ou vif Daran

- Les chiens de paille Miossec

- Sans viser personne Benjamin Biolay

- Qu'est-ce qu'on va faire de toi? Alister

- Les débats à venir sur "qu'est-ce qu'être français?"

- la destruction du collectif qui poursuit sa route...

- les phrases de Pierre-Anthon quand certains prennent la parole...

 

*** La maison d'éditions Panama est actuellement en dépôt de bilan, le livre est actuellement épuisé, si vous le trouvez :)

Publié dans Livres

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F
<br /> Après des années de réflexion (eh oui on perd du temps à savoir comment s'y poser bien ;-), toujours ce mot d'enfant en tête : l'autre est un autre toi... Tu sais, St-Ex., Prévert, etc, des gens<br /> qui ont pris des raccourcis eux aussi ! De toutes façons les autoroutes ne sont pas obligatoires heureusement :-)<br /> <br /> <br />
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