quand il parlait de son frère I

Publié le par naew

Il parle de son frère admiré, maintenant cassé par l'alcool. Il refait toute la gamme de sentiments entre frères: l'amour admiratif, déçu, l'envie d'être comme lui, apprendre à être soi. Ce qu'il vit, je ne peux pas le ressentir avec le même degré d'émotion, autre manière d'être attentive à l'autre, d'avoir la juste distance.

La voix qui lui parle, cherche à comprendre, ma voix est dure. Elle s'excuse de l'émotion désertée. quelque chose qu'il ne connaît pas encore chez moi, cette défense qui fait que peut être je peux encaisser , faire face. Ma froideur n'est que la distance pour ne pas revivre de trop près ces moments-là. Le temps et la résilience sont là.

Pourtant

Je revois la café chez Mylène, la station-essence, la menthe à l'eau, le baby-foot.
Le capitaine hilare derrière mon père , son uniforme tâchée de vomi, l'odeur du ricard.
Les virées dans les chenils ou les expos de reptiles ou ses maîtresses
Je revois ma mère prendre les bouteilles d'alcool pour le vider
Mon père se battre pour la seule fois de sa vie.
Le chewing gum masquant l'haleine, l'air de mauvais comédien pour dire que non il n'a pas bu
Les clés dissimulées ou les bourses du collège volées
Les bouteilles cachées dans les chambres, les caves
Je revois le bar de la caserne où j'allais le chercher
Les trajets sur la route avec le mal au coeur et la plaque de la voiture devant qui se rapproche
s'éloigne.
Les hurlements de la mère pour que mon père fasse quelque chose
La lettre qu'elle lui fait rédiger pour partir à la Réunion quand même

Je revois mon père sonné quand je lui demande de parler juste après avoir hurlé
Ses larmes sur mes genoux , sa voix qui dit "toi tu peux"
Sa gueule quandje le gifle ou lui balance un verre d'eau
Le bruit de son corps sur le plancher après sa tournée des bars
Son envie de nous dire bonsoir à l'heure où on va à l'école
Ses cris de sevrage à la maison, l'odeur de l'urine dans les toilettes
Son visage minable à l'hopital, gamin pris en faute qui a avalé des pilules inoffensives.
Je revois la voiture perdue plantée en travers du parvis de Cambrai
Sa silhouette de dos avec un mickey énorme devant la gare de Rennes
la meme silhouette pissant contre un arbre dans l'avenue de la gare

Je revois le père sourire devant lemon incest
le nouvel observateur sur goldman avec les négations barrées
le profil de mon père au milieu des parties de poker à l'Entre-Deux
les filles de la nuit aux objets oubliés sur la baignoire
Je revois la mère s'accrocher à sa dérive parce qu'elle ne peut pas
les stratégies du secret pour qu'il ne prenne pas les clés
les mensonges devant les amies du lycée dans le bus
face au père qui titube dans le bus fier de sa fille
les sdf sur le pavé interrogés du regard
les années où il a disparu  sans adresse

Je revois l'adolescence brestoise
où si tu ne bois pas, tu n'es pas d'ici
Les entonnoirs des réveillons pour faire boire les filles
le premier baiser à l'alcool pas cher
cette tentation maladive de se détruire
l'autodestruction comme art de vivre

Publié dans Pouls -Face B

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